« Sur Internet, il existe une solidarité émotionnelle »
Corinne Soulas a perdu sa fille dans le crash du vol Air France 447 qui reliait Rio à Paris, le 1er juin 2009. Aujourd’hui encore, cette mère endeuillée actualise la page Facebook de Caroline et fait vivre son souvenir sur les réseaux sociaux.
Comment faites-vous vivre la mémoire de votre fille Caroline sur Internet ?
Cela va faire sept ans que l’accident a eu lieu et j’entretiens toujours la page Facebook de ma fille pour les dates clés principalement. Pendant les moments d’émotion intense qui m’envahissent, j’ai besoin de publier. Comme le 3 avril, jour de l’anniversaire de Caroline, où je publie des photos. Cela me fait plaisir de partager et de raviver son souvenir et cela me permet de constater que beaucoup de gens se souviennent. Ils viennent écrire un petit mot gentil, laissent une annotation ou font simplement une visite. Sept ans ont passé et cela fait énormément de bien de voir que la personne disparue est toujours présente dans leur esprit. C’est pour moi une forme d’accompagnement, une sorte de thérapie.
La position de l’avion n’a pas été identifiée tout de suite. Pendant deux ans, nous avons été dans l’interrogation et le flou le plus total ; nous ne savions pas où était cet avion, si ma fille et Sébastien, son mari, allaient être retrouvés. Ces deux années d’attente nous ont fait souffrir davantage encore. Le recours à Internet, à ce moment-là, a été une façon pour moi de faire vivre le souvenir de ma fille, mais il m’a aussi permis de me décharger de toutes les émotions qui étaient en moi. Et si j’en parle, encore aujourd’hui, c’est toujours guidée par ce besoin de dire qu’ils ont été, qu’il ne faut pas oublier. Cet accident brutal a rendu ma douleur indélébile. La perte d’un enfant ne s’accepte pas. Ma fille avait 24 ans, elle voulait des enfants. Elle n’en aura jamais. Il y a tout un processus lié à l’avenir qui n’existe plus et c’est d’autant plus difficile à accepter.
Pour moi l’outil Internet est formidable, car il permet de continuer à la faire vivre, et d’éviter que les amis et les connaissances ne l’oublient. Outre l’entourage, il y a des gens que je ne connais absolument pas qui se greffent à ma douleur à travers Internet, et apportent leur soutien. Parce qu’ils traversent une période difficile, ils souhaitent échanger. Finalement, le monde n’est pas si égoïste. Il existe une solidarité émotionnelle. et une ouverture vers l’amitié. Il m’est arrivé de rencontrer des personnes qui sont devenues des amies. La perte d’un mari pour l’une d’entre elles lors d’un accident d’ULM, nous a permis d’échanger, de nous rencontrer, de nous comprendre, de nous soutenir. Internet peut ouvrir des voies amicales solides grâce à la compréhension mutuelle : la douleur est partagée au travers du même ressenti.
Internet pour moi reste bénéfique car communiquer est un besoin. C’est une sorte de thérapie qui ouvre la voie aux souvenirs, aux échanges, que je n’impose à personne, mais qui me permet de me décharger et qui laisse toute liberté au dialogue. Une évasion nécessaire pour voyager dans le temps, accepter l’inacceptable et essayer de s’ouvrir vers d’autres horizons.